ÄFOU DE LECTUREÊ
C’est un dictionnaire, un dictionnaire best-seller, en plus un dictionnaire de la littérature, une des grandes surprises de la rentrée. Le livre de Charles Dantzig a été salué par toute la critique sauf quelques grincheux. En 962 pages défilent sinon tous, du moins beaucoup des écrivains français à l’exception des vivants. Dantzig, fou de lecture, écrivain lui-même, poète, romancier, distribue bons et mauvais points, avec pas mal de parti pris, des coups de griffes…et aussi des coups de cœur. Le lecteur s’amuse, s’instruit, se met en colère, Dantzig n’est pas objectif ! Mais on doit admettre qu’il a vraiment beaucoup lu !
- Qu’est-ce qu’il a fait Dantzig en 42 ans, à part lire ?
Eh bien c’est simple : il s’est empêche de vivre, probablement. D’une certaine façon ce livre est une forme de contestation de la vie. Les gens qui lisent beaucoup, et les gens qui écrivent, c’est parce que la vie ne leur convient pas. Je crois que la vie, au fond, n’est pas très bien faite, la vie est pleine de répétitions, la vie est pleine de redites, la vie est pleine de gens que l’on ne devrait pas rencontrer, d’emmerdeurs, de raseurs.
- Est-ce que c’est un livre de sale gosse, qui décide de mettre des pétards devant des écrivains, statues devant lesquelles tout le monde s’agenouille ?
Il peut y avoir de ça…euh il peut y avoir de ça, c'est-à-dire que…on m’accuse parfois d’avoir la dent dure, mais si j’ai la dent dure, mais c’est que la bête est féroce, et je pense que si je dis des horreurs sur Claudel, c’est que Claudel en a dit lui-même et que je peux donc en toute légitimité et en toute justice même, le traiter de la façon dont il a traité les autres.
…Et j’ai simplement essayé de parler de la littérature comme on s’assied à table et comme on parle de gens de la famille. Je n’ai pas cherché à avoir raison ou tort quand je parlais d’un écrivain, évidemment je pense, si je dis une chose c’est que je l’ai réfléchie, donc je pense que j’ai plutôt raison, mais ce n’est pas une chose qui m’importe.
Si je parle de Baudelaire, et du tempérament agaçant à mes yeux de Baudelaire, c’est parce qu’on est tous assis à la même table, et je parle de Baudelaire comme je parlerais de l’oncle Adolphe qui est parti en Uruguay avec les pépettes. Et on parle de ça et on discute, et on s’engueule...c’est des gens de la famille, c’est une chose toute simple.
- Là vous exécutez avec Colette ou…vous taillez un curieux costard quand même ?
Oui oui, les dîners en ville de Paris me reprochent les choses que j’ai dites sur Colette, mais c’est un peu…oui je taille un costard à une femme qui s’est montrée tellement de fois nue que cela ne peut que lui faire du bien, cela la rajeunit un peu.
-Céline…
Céline sort tout vociférant de la cuisse de Jules Laforgue...Jules Laforgue est un grand écrivain français, comme vous savez, de la fin du dix-neuvième siècle, qui est mort à 27 ans, et qui a écrit des poèmes merveilleux, qui a écrit, pour moi, un des plus beaux livres, si une expression aussi entière peut se justifier, de la littérature française qui sont les Moralités légendaires.
Eh bien Laforgue a inventé ce que j’appellerais le style émotif, c'est-à-dire cet usage, pour le coup absolument nouveau chez lui, du point de suspension, des points de suspension, des points d’exclamation, la façon de hacher sa phrase, de faire des cocasseries par moquerie des sentiments, enfin j’ai vraiment l’impression, ça peut se contester mais j’ai cette impression là, que Céline est un enfant de Laforgue. Or ce qui m’agace chez lui, c’est sa prétention à être sorti tout cru, tout génial de nulle part. Aucun écrivain à mon sens, ni même moi, ne sort de nulle part.
- Pendant des pages et des pages, vous chipotez Stendhal…
Mais je chipote…
œStendhal
- On a l’impression vous êtes...si vous l’aviez sous la main, vous le feriez réécrire la Chartreuse cet homme qui dit avoir écrit ce livre « en 53 jours, […] un million de signes, que divise 53 égale 18 867 signes, que divise 1 500 signes par page égale 12,5 pages par jour. Stendhal a fanfaronné : il est impossible d’écrire douze pages et demie par jour, à moins d’être un bâcleur »…et boom !
Mais oui c’est vrai ! Écoutez…j’aime beaucoup Stendhal, en même temps...enfin il a…la fin de rubrique est pour lui. Il se trouve que Stendhal est un homme qui n’a pas eu d’éditeurs, je pense...voilà. Personne ne l’a relu et lui a dit : « Coco… » enfin d’ailleurs c’est idiot ce que je dis, aucun éditeur n’appelle un écrivain coco...personne ne lui a dit : « Henri, tu devrais changer ton début, et raccourcir ton début. En réalité Stendhal est très agaçant dans ses débuts, et en particulier le début dans la Chartreuse ; Mérimée, qui l’a bien connu, disait : « il était parfois servile comme Lascase, et parfois frondeur comme Courier ».
-Parlons de « de La Ville de Mirmont »…
Jean de La Ville de Mirm…
- Là vous êtes allé le chercher loin..
François Mauriac, qui, lui aussi, avait une espèce de passion pour les morts et pour la continuation, la littérature, avait connu Jean de La Ville de Mirmont, qui était bordelais comme lui, qui était un de ses amis, qui était écrivain, et qui est mort au front pendant la guerre de 14, et Jean de La Ville, on l’appelait Jean de La Ville même si son nom complet est Jean de La Ville de Mirmont, a écrit des poèmes, et a surtout écrit un roman que, si nous étions sérieux, nous considérerions comme un grand roman, parce que je crois qu’il l’est, qui s’appelle Les Dimanches de Jean Dézert, et qui est pour moi, qui pourrait être...ça m’aurait intéressé de savoir si Samuel Beckett a lu ce livre par exemple, voilà, parce que ça pourrait être une…
- Vous ne saurez jamais…
Je ne saurais jamais mais si j’avais rencontré Beckett je l’aurais posée cette question parce que ça pourrait être les prémices d’un roman beckettien.
- On dit quel genre de prudence, je ne dis pas de lâcheté, de prudence, dans un milieu où on dégaine vite, où on peut se faire servir des horreurs, Dantzig il n’a pas envie de se faire allumer par les vivants, donc il ne parle pas des vivants ?
D’une part ça n’était pas…on peut dire que c’était une prudence mais ça n’en était pas une, d’une part…c’était je crois une honnêteté, parce que le fait de parler avec ce qui a l’air d’être une si grande science des écrivains du passé, pouvait tout d’un coup me donner une apparence d’autorité pour juger les vivants qui auraient été injustes.
- Quand on prend Sagan, on n’est pas dans les classiques ?
Sagan a quelque chose d’un peu Musset, Tchekhov comme ça, et ça se voit aussi dans son théâtre. Chateau en Suède, voila, est une très belle pièce de théâtre.
( Extrait :
- Je lui ai rendu sa femme, qui, d’ailleurs, devenait fatigante.
- Pourquoi vous ne l’aimiez donc pas ?
- On ne peut pas aimer chaque fois…n’est-ce pas ?
- C’est vrai…
Sagan : ça me parait si évident que l’on ne peut pas aimer à chaque fois, ce serait un peu trop simple, non ?)
Le théâtre de Sagan c’est un peu du Tchekhov dont les personnages auraient 20 ans au lieu de 40.
( Extrait :
- Ça je dois le reconnaître, il est remarquablement bien fait.
- C’est déjà ça…quoique à mon sens pour un homme. Comme le disait Talleyrand : « La beauté fait gagner 15 jours ».
- Comme au bout de 15 jours un homme me fatigue…je gagne du temps.
- Oui c’est juste.
Sagan : euh 15 jours ça me parait beaucoup !)
Sagan a eu du succès avec sa première pièce de théâtre et ça a modifié son caractère, elle s’est mise petit à petit à sortir du côté un peu mélancolique de...tchekhovien qu’elle pouvait avoir pour aller vers la satire, eh bien je pense que...elle peut être un exemple de ça
Si Musset avait été heureux et avait eu du succès, il aurait écrit des satires...en réalité, Sagan est un très bon auteur de satire…
D’abord il faut attendre qu’un écrivain soit mort pour savoir réellement ce qu’il est.
Si j’avais écrit la notice de Chateaubriand 4 ou 5 ans avant sa mort, cette notice aurait été très incomplète, inexacte, elle n’aurait pas comporté la Vie de Rancé qui est peut-être le chef d’œuvre de Chateaubriand, donc réellement il faut attendre jusqu'à la fin.
Donc des vivants se seraient retrouvés en position déséquilibrée par rapport à des morts qui avaient tout l’avantage et le confort de la mort.
œbienséance
D’autre part, je pense que, réellement, la mort est ce qui définit un écrivain pour plusieurs raisons parce que, d’une part, la mort c’est la cessation de la bienséance, on n’a plus à être bienséant avec un mort, comme par exemple vous citiez Sagan qui est la dernière par ordre chronologique de mon libre ; si j’avais voulu écrire sur Sagan de son vivant, j’aurais été obligé de me retenir parce qu’ avec les vivants, du moins je suis bien élevé ou j’essaie de l’être, et que Sagan était une femme charmante, et que je n’aurais pas eu envie de la blesser en disant telle ou telle chose. Au demeurant l’article sur Sagan est favorable. Mais le fait que Sagan soit morte supprime cette bienséance, et tout à coup je peux dire sans bienséance pour l’être de chair Françoise Sagan ce que je pense pour l’être d’encre Françoise Sagan, qui, à mon avis, est supérieur pour nous tous, la personne qui écrit est différente de la personne qui est, mais voila je peux dire Bonjour tristesse est un roman comme ci, Le garde du cœur qui est un roman sur le cinéma américain, enfin Hollywood dans les années soixante dix, qui est une satire très amusante et très bien, mettons-le au premier rang, alors que tel livre de Sagan est moins bon, mettons-le au deuxième rang, j’aurais été impoli de son vivant, on peut être impoli avec les morts, et ça c’est très bien parce que on n’a pas à être respectueux, le respect est le commencement de la mort réelle.
- J’imagine comme ça qu’il y a des gens qui ne lisent pas beaucoup et ils tombent sur ce livre, ils vont avoir envie de lire comme des sauvages, ils vont aller chercher quoi ? Proust ? Ils vont aller chercher Balzac ? Ils vont aller chercher Racine ? Ils vont aller chercher Alexandre Vialatte ? Est-ce que je sais, moi ?
J’espère qu’ils iront chercher Voltaire. Vous savez il y une phrase de La Bruyère : « Ils ôtent de l’histoire que Socrate ait dansé, eh bien nous ôtons de l’histoire que Voltaire ait dansé ». Voltaire, dans sa jeunesse, aimait danser, et était un jeune homme charmant, un peu cambré, il était petit, il ressemblait à un écureuil, comme ça, un peu gaffeur, d’ailleurs sa gaffe et sa nervosité me touchent beaucoup. Il y a une phrase dans la correspondance entre Cocteau et Max Jacob, où Cocteau dit à Max Jacob, qui était à Saint-Benoît-sur-Loire, lui raconte une soirée où arrive Antoine Bibescot, il lui dit : « Entre Antoine Bibescot, ivre de gaffes », qui est une phrase que je trouve merveilleuse.
Eh bien Voltaire était un homme ivre de gaffes, ça me touche parce qu’il était maladroit, il était nerveux, il était très sensible, ce sont des choses qui me touchent beaucoup, il était plein de bontés, et je tiens Voltaire pour un des écrivains les plus mal jugés de la littérature française, parce que l’on le juge sur très peu de livres, sur ses contes, sur le Traité sur la Tolérance, enfin je me suis même amusé à faire un décompte par rapport au nombre de pages qu’il a écrit, car Voltaire est l’écrivain qui a le plus écrit avec Victor Hugo en France, et on le juge sur 3,33% de son œuvre !
Voilà, Voltaire on peut acheter les 60 volumes, et puis j’aime bien l’idée que maintenant la seule édition complète de Voltaire se passe dans un endroit qui est un des endroits les plus beaux du monde, qui a comme un cerveau posé sur la campagne, et qui est la ville d’Oxford, la fondation Voltaire est à Oxford, c’est une ville anglaise, cette ville-là si merveilleuse que, quand Hitler faisait bombarder l’Angleterre, il avait donné l’ordre à ses bombardiers de ne pas bombarder Oxford, parce qu’il était persuadé de conquérir l’Angleterre, il voulait se faire couronner docteur honoris causa à Oxford, tant était grande la folie de cet homme, eh bien dans cette ville merveilleuse se trouve la fondation Voltaire, et c’est pour moi les beautés du cosmopolitisme que…voilà, dans une ville anglaise on publie en français les œuvres complètes de Voltaire...Tant d’années après, c’est ça la littérature !
Le dictionnaire égoïste de la littérature française de Charles Dantzig est publié par Grasset, ainsi que ses deux derniers romans : Un film d’amour et Nos vies hâtives.
Ses poèmes, ses essais et ses traductions sont édités pour l’essentiel par les Belles Lettres et aussi par la Différence, Le Rocher et Gallimard.
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Ж - L’année dernière, à la même époque, nous étions à….
Huế, cité historique impériale, vue d’une pagode, centre du Vietnam.
Ж - Dans la peau de QUI serez-vous demain ?
De Valery Sokolov…j’ai dix neuf ans, je suis Ukrainien de Tchernobyl et j’ai quatorze ans de violon, « je n’étais pas si excité la première fois que j’ai touché un violon, mais des millions de gens conduisent des violons…je veux dire des voitures, et peu jouent peu du violon, même mal. Alors je me sens un peu spécial ».
Les Grands Interprètes accueillent Valery Sokolov le 12 décembre 2005 à l’Auditorium de l’Orchestre National de Lyon.
Le récital filmé à l’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines à Toulouse, en septembre 2004, est disponible sur www.arte-tv.com.
Ж – Haiku nº 04
AKAKI MI une baie rouge
HITOTSU KOBORENU solitaire est tombée –
SHIMO NO NIWA jardin de givre
Cent sept haiku de SHIKI, traduits du japonais par Joan Titus-Carmel, édition Verdier.
Ж - Souvenirs de voyage :
http://site.voila.fr/couleursdumonde/souvenir.htm
"Un jour, Bouddha se retrouva dans un citron..."
Ж - Au prochain article : Applaudir une Corrida.
Corrida²
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